Bilan de la francophonie dans le rêve africain

La francophonie et le rêve africain

Par Mohamed Larbi HAOUAT, Docteur d'État

Président d'ASILEC (Association de Solidarité pour l'Intégration

par les Langues, l'Éducation et la Culture)

La genèse de la francophonie est contemporaine des indépendances africaines. Elle est donc liée à des espérances de liberté, d'unité et de développement pour l'Afrique. Les pères fondateurs de la francophonie voyaient dans la langue française un puissant instrument d'émancipation et d'éducation pour leurs jeunes nations. C'est en ce sens que la francophonie a un lien très fort avec le rêve africain. Le Dr Haouat explique par ailleurs les différents niveaux de francophonie et conclut en montrant que beaucoup reste à faire. La francophonie doit atteindre sa maturité et tenir les promesses de ses débuts.

Mots clés : Afrique, commonwealth, développement, diversité, éducation, francophonie, indépendance, mondialisation, multilinguisme, paix, rêve, valeurs

Index des noms cités : Habib Bourguiba, Hamani Diori, Abdou Diouf, Onésime Reclus Léopold Sedar Senghor, Norodom Sihanouk

 

Je citerai pour commencer l'ancien président tunisien Habib Bourgiba. Il a saisi la portée de la francophonie au début des indépendances africaines, sa part dans le rêve d'une Afrique nouvelle.

« La francophonie représente en Afrique une réalité. Non seulement parce qu'elle met en contact privilégié les pays où le français est langue officielle et ceux où elles est langue de travail ; mais parce qu'elle rend les uns et les autres participants à un même univers culturel ; parce qu'elle rend les uns et les autres plus à même de découvrir, même au-delà de la langue, ce qui les unit. C'est donc une sorte de Commonwealth que je voudrais voir s'établir entre eux, une sorte de communauté qui respecte les souverainetés de chacun et harmonise les efforts de tous … »

Habib Bourguiba Université de Dakar, le 24 novembre 1965


Réfléchissons à la part de la francophonie dans le rêve africain : la question nous interpelle au moment où la mondialisation s'est avérée un processus inéluctable dans un monde devenu un village planétaire selon l'expression de Macluhan. Un monde qui est sans cesse à la recherche d'un nouvel ordre international. Qui veut éviter l'hégémonie d'un modèle impérial et la standardisation anglo-américaine …

Les indépendances des États africains au lendemain de la Seconde Guerre mondiale donnèrent au continent de nouvelles aspirations et de nouvelles perspectives. Si l'association volontaire d'États du Commonwealth a maintenu des liens sentimentaux avec la Couronne Britannique et a poussé à la coopération économique, la francophonie a-t-elle eu un sérieux impact sur rêve Africain ? Peut-elle contribuer à transformer ce rêve en réalité en mettant en place des stratégies de développement pour répondre aux défis auxquels se trouve confronté ce continent ?

I-                  La francophonie touche à la langue et aux valeurs

Avant d'appréhender ces question, revenons sur la genèse de la francophonie. Le premier usage de ce terme est imputé au grand géographe français Onésime Reclus, frère d'Elisée Reclus. Il définissait en 1880 la francophonie comme étant ce qui rassemblait tous les étrangers qui parlent le français dans le monde : « tous ceux qui sont ou semblent être destinés à rester ou à devenir participants de notre langue. » Ainsi, il a mis un dénominateur commun pour des peuples de différents pays ayant la langue française en partage : des Haïtiens, des Acadiens, des Suisses Romands, des Québécois, des Indochinois, des Valdotains, des Wallons de Belgique et des Africains…

Le concept de francophonie ne fit son apparition dans les dictionnaires que vers 1930, mais son véritable essor est venu après la décolonisation. Si, dans un premier temps, l'action de la francophonie a été limitée à la mission restreinte de favoriser la langue et la culture, elle a subi un élargissement de l'éventail pour remplir d'autres tâches essentielles dans quatre domaines :

1 – Promouvoir la langue française et la diversité culturelle et linguistique dans l'espace francophone.

2 – Appuyer l'éducation, l'enseignement supérieur et la recherche.

3 – Promouvoir la paix, la démocratie, et les droits de l'homme.

4 – Développer la coopération et la solidarité internationale en vue du développement durable.

L'article premier de la Charte de la Francophonie adoptée à Antananarivo, le 23 novembre 2005 présente clairement la vision de l'action francophone. On voit en effet qu'il n'y ait pas seulement question de partage d'une langue mais de réalisation d'un idéal et de valeurs universelles.

 « La francophonie, consciente des liens que crée entre ses membres le partage de la langue française et des valeurs universelles, et souhaitant les utiliser au service de la paix, de la coopération, de la solidarité et du développement durable, a pour objectifs d'aider : à l'instauration et au développement de la démocratie, à la prévention, à la gestion et au règlement des conflits, et ou soutien à l'État de droit et aux droits de l'homme ; à l'intensification du dialogue des cultures et des civilisations ; au rapprochement des peuples par leur connaissance mutuelle ; au renforcement de leur solidarité par des actions de coopération multilatérale en vue de favoriser l'essor de leurs économies ; à la promotion de l'éducation et de la formation… »

Dans ce sens de l'élargissement fonctionnel de la francophonie, Abdou Diouf, Secrétaire générale l'OIF, rappelait que :

 « La Francophonie, c'est le combat pour certaines valeurs (…) une approche originale qui fait avancer en profondeur ces chantiers de la démocratie et des droits de l'homme. » (Francophonie et Mondialisation Hermès, n° 40, 2004)

Prenons les pères fondateurs de la Francophonie : pour l'Afrique, Léopold Sédar Senghor Président du Sénégal (1906-2001), Habib Bourguiba Président de Tunisie (1903-2000), Hamani Diori (1916-1989) Président de la République du Niger ; pour le proche-orient, Charles Hélou (1912-2001) Président de la République du Liban et pour l'Asie, Norodom Sihanouk (1922) Roi du Cambodge. Toutes ces figures ont tous, à des titres divers, ressenti le même besoin de construire une communauté francophone.

La francophonie ne fut pas une demande française, elle a été même été exogène à l'hexagone. D'abord aspiration africaine, elle s'est élargie pour devenir internationale. Ainsi, le Français qui a servi à instaurer l'indépendance et la paix entre les Nations doit servir aussi au développement socio-économique, et au progrès scientifique, technique et culturel dans l'espace francophone.

Pour relever ces défis, il va falloir se doter d'une volonté politique, puis créer les outils nécessaires capables de provoquer un effet de synergie, pour soutenir la formation linguistique et stimuler la création. Sous l'impulsion de trois chefs d'Etat africains, Bourguiba, Diori et Senghor, naissait l'Agence de coopération culturelle et technique (A.C.C.T.) par la Convention de Niamey au Niger du 20 mars 1970.

Aujourd'hui, cette communauté regroupe 55 États et gouvernements ayant le Français en partage et 13 observateurs. La francophonie est riche de 200 millions de francophones. Son essor ne peut toutefois se confirmer que par une adhésion populaire plus large. Surtout la France doit se rallier plus franchement et surmonter l'accusation de néocolonialisme.

L'acquiescement de la volonté politique comme épine dorsale de la francophonie est un signe d'adhésion à cette communauté d'esprit. Donc, il va falloir l'institutionnaliser en formant une base fondamentale pour asseoir les réseaux de la Francophonie :

II-              Les réseaux de la Francophonie

 « Le succès de la Francophonie dépend de l'efficacité des structures et des hommes qui prennent en charge l'accomplissement du projet. »

                  Léopold Sédar Senghor, discours prononcé au siège de l'ACCT en 1985.

Dans la mondialisation, le temps est aux réseaux. Trois composantes essentielles forment les réseaux francophones : les instances officielles, la société civile et les entreprises citoyennes. (voir www.francophonie.org)

A) Les instances officielles :

Le sommet de la francophonie :

La conférence des chefs d'État et de gouvernement des pays ayant le Français en partage est l'instance suprême de la Francophonie multilatérale. Elle se réunit tous les deux ans pour définir le programme d'action de la Francophonie : Paris (1986), Québec (1987), Dakar (1989),Paris (1991), Maurice (1993), Cotonou (1995), Hanoi (1997), Moncton (Canada, 1999), Beyrouth (2002), Ouagadougou (2004), Bucarest (2006). Le prochain Sommet se tiendra à Québec, les 17 et 18 octobre 2008.

Le Conseil Permanent de la Francophonie (CPF) :

C'est l'instance chargée de la préparation et le suivi du sommet. Il est présidé par le Secrétaire général de la francophonie et composé des représentants des États et des gouvernements membres.

La Conférence ministérielle de la Francophonie (C.M.F.) :

Elle rassemble une fois par an, les ministres chargés de la francophonie des pays de la communauté francophone. Elle prépare les sommets et veille à l'exécution des décisions.

L'Organisation Internationale de la Francophonie (O.I.F.) :

C'est une institution fondée sur le partage d'une langue et de valeurs communes. Sous l'égide du Secrétaire Général de la Francophonie, elle conduit les actions dans les domaines de la politique internationale et la coopération multilatérale. Elle s'appuie sur un Conseil Permanent de la Francophonie (CPF) et quatre opérateurs directs :

L'Agence Universitaire de la Francophonie, (AUF).

L'Association des Universités Partiellement ou Entièrement de Langue Française (AUPELF) a été créée à Montréal en avril 1961. L'Université des Réseaux d'Expression Française (UREF) a été crée 1986. L'AUPELF-UREF devient en 1998 l'AUF, l'Agence Universitaire de la Francophonie.

Info@auf.org      www.universités.francophonie.org

L'université Senghor d'Alexandrie.

rectorat@usenghor-francophonie.org   www.usenghor-francophonie.org

L'Association Internationale des Maires Francophones, (AIMF).

    sp@aimf.asso.fr   www.maires.francophonie.org

TV5 Monde : (contact@europe.tv5.org   www.tv5.org)

B) La société civile :

La société civile est devenue une composante incontournable de la vie socio-économique, culturelle et politique de tous les pays. En France, le tissu associatif est fort de 1 800 000 associations. Le domaine francophone bénéficie d'un apport considérable d'associations francophones en France et dans l'espace francophone. Là, il faut bien mentionner que l'avenir de la Francophonie est dans l'adhésion des mouvements de la jeunesse dans le monde.

C) Les entreprises citoyennes :

Les entreprises citoyennes sont publiques, semi-publiques et privées. La francophonie compte beaucoup sur elles pour maintenir le cap économique. Elles sont les pierres angulaires de l'édifice de la francophonie des affaires. Si elles ne maintenaient pas le français en tant que langue des affaires pour régir leurs relations avec la clientèle et les fournisseurs, l'anglais prendrait le dessus. Désormais l'Afrique n'est plus la garde chassée de la Francophonie. La Chine est entrée dans le jeu pour revendiquer sa part du marché africain.

III-           La Francophonie a-t-elle rempli son rôle dans le rêve africain ?

La francophonie s'engage à promouvoir la diversité culturelle et linguistique : l'une de ses priorités est la diversité culturelle et le multilinguisme, car c'est un principe qui contribue à garantir la vitalité créatrice et la cohésion du monde francophone. La notion de diversité paraît plus rassurante pour une ouverture fructueuse. C'est le combat contre l'uniformisation culturelle et linguistique. Le projet est scindé en deux chantiers, « les langues » d'une part et « la culture et les médias » d'autre part. C'est à Cotonou au Bénin lors de la IIIe Conférence ministérielle de la Francophonie, en juin 2001 que le concept de la diversité culturelle est devenu une politique. La déclaration de Cotonou marque l'engagement solennel des ministres à promouvoir la diversité culturelle au sein des divers forums internationaux. Les ministres adoptent un plan d'action de 6 points :

1 – Soutenir, aux plans interne et international, la diffusion et le dialogue des cultures en favorisant leur appropriation par les populations et en développant le savoir-faire des professionnels.

2 – Faciliter la conception et la mise en œuvre de politiques culturelles et linguistiques.

3 – Consolider le rôle de la langue française et des langues nationales partenaires en tant que vecteurs d'expression des créateurs, de développement, d'éducation, de formation, d'information, et de communication au sein du monde francophone.

4 – Améliorer l'accès des créateurs, artistes, producteurs de la Francophonie aux marchés internationaux et la protection de leurs droits.

5 – Développer les industries culturelles, les technologies de l'information et les médias audiovisuels.

6 – Instaurer une concertation permanente élargie aux acteurs culturels de société civile et du secteur privé.

Apprendre à devenir polyglotte. Saisir le multilinguisme pour devenir plurilingue c'est d'une part alimente l'intercompréhension et en même temps faire face à l'exacerbation d'une concurrence déloyale. Dans ce contexte, la maîtrise d'au moins deux langues vivantes en plus de la langue maternelle devient un instrument promotionnel pour réduire tout excès disproportionné. C'est une assurance protectrice pour la diversification des langues apprises, ce qui allège à la fois l'angoisse de la mondialisation et favorise la mobilité internationale.

La Francophonie est riche de sa diversité par le dialogue des cultures. Elle doit Privilégier l'aspect interculturel dans la découverte de la dimension socioculturelle. Son rôle est aussi essentiel dans la promotion de la défense, le renforcement des droits de l'homme, des enfants et des libertés fondamentales. Il n'y a pas de démocratie sans diversité. Les meilleures chances de succès de la francophonie restent dans la capacité de tolérance, de liberté de l'expression, d'ouverture sur l'autre, de dialogue des cultures et des civilisations, de solidarité. Elle ne vivra que si elle sait écouter et encourager l'apprentissage des langues, respecter les différences, faire participer la jeunesse francophone, savoir partager les richesses pour faire baisser l'acuité de la pauvreté dans le monde et défendre la démocratie et les droits de l'homme. Bref, c'est par sa dimension humaniste que la francophonie tiendra une place prépondérante face la mondialisation.

Mais la francophonie a-t-elle réussi en Afrique. La réponse est oui, mais pas au niveau souhaité et ce pour plusieurs raisons. Les instances francophones étaient bien des organes de formations, d'encadrement, d'aide à la solidarité. Elles étaient aussi des employeurs pour des milliers de cadres africains.

Sur ce plan, la francophonie a bien contribué au rêve africain. Mais le résultat n'était pas à la hauteur des aspirations des francophones, beaucoup de choses restent à faire au niveau d'une stratégie de développement, la réduction de la pauvreté, la lutte contre le Sida et placer les pays africains sur la voie de la croissance et le développement durable.

C'est le programme du Nouveau Partenariat Pour le Développement de l'Afrique (NOPADA). En effet, les francophones appellent à un véritable partenariat fondé sur le co-développement pour garantir une croissance économique par le commerce équitable. La francophonie devait contribuer à réduire la fracture numérique dans l'espace francophone par une véritable solidarité.

Il semble que la meilleure conclusion à ce sujet se présente dans une citation très chaleureuse d'un africain, bâtisseur qui disait que :

«  La Francophonie, c'est cet Humanisme inégal, qui se tisse autour de la terre : cette symbiose des « énergies dormantes » de tous les continents, de toutes les races, qui se réveillent à leur chaleur complémentaire. »

                        Léopold Sédar Senghor, Revue Esprit, novembre 1962.



09/04/2008
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