responsabilité et sécurité humaine en Afrique
En 2005, Sylvie Brunel, ancienne directrice d'Action Internationale Contre la Faim et spécialiste du développement, écrivait :« L'Afrique s'identifie pour le plus grand nombre au malheur et à l'échec.Guerre, sécheresse, maladies, pauvreté, enfants qui meurent de faim et qu'il faut aider : le continent tout entier semble ne susciter qu'une pitié mêlée de répulsion. » (Sylvie Brunel, 2005)
Cette remarque va au coeur du problème de la sécurité humaine. Reste à définir les différents aspects de cette insécurité, en cerner certaines causes avant de voir les solutions que propose
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Responsabilité humaines et sécurité humaine en Afrique
1. Définir l'insécurité vécue et ressentie
Discipline récente, la sécurité humaine évolue sans cesse dans sa définition et ses outils. Elle part de l'existentiel, voire du viscéral, comme le suggèrent ses deux slogans : libérer de la peur, libérer du besoin . Diverses situations peuvent susciter chez l'être humain un sentiment d'insécurité. Abordons justement cette insécurité subie, vécue et ressentie.
1.1 Trois aspects de l'insécurité
Le terme « insécurité » a trois synonymes : l'incertitude, la précarité et le danger. Tous les trois sont omniprésents en Afrique.
L'incertitude touche à l'identité d'un être ou d'une relation et crée un sentiment d'angoisse et de confusion. Ne pas savoir clairement ce que sont les choses ou comment elles sont reliées est un facteur majeur d'insécurité.
Le danger menace l'intégrité, voire l'existence d'un être.
La précarité abaisse son statut et sa dignité. Une personne peut vivre dans la précarité parce qu'elle se sent dépourvue du minimum de savoir, de pouvoir et d'avoir auquel elle aspire.
Il faut ajouter que l'insécurité humaine est d'autant plus insupportable quand elle est subie et involontaire. Ce point doit être précisé, car il existe de nombreuses activités humaines où nous choisissons volontairement une certaine marge d'insécurité pour parvenir à certaines fins.
Prenons un milieu où la sécurité humaine subie est particulièrement traumatisante : la famille. Regroupant des individus unis par des liens de sang et d'affection qui les rendent organiquement indispensables les uns aux autres, la famille est le milieu idéal pour mesurer la sécurité ou bien l'insécurité humaine .
Le danger domestique revêt deux grandes formes : l'accident et la violence. L'accident blesse, peut mutiler à jamais, voire provoquer l'anéantissement de l'être aimé. Quant à la violence domestique, elle peut gravement blesser voire tuer le conjoint, l'enfant, le parent, le frère ou la sœur. Plus un climat de violence règne dans un foyer, plus l'insécurité humaine y est vécue et ressentie quotidiennement.
L'instabilité et l'incertitude créent une autre insécurité. Ciment de la cohésion familiale, l'amour crée un sentiment de sécurité. Mais si les malentendus s'installent, si l'être aimé se montre différent de que l'on croyait, si la vie familiale déçoit les attentes initiales, une insécurité va planer sur le devenir du couple et du foyer. L'infidélité d'un conjoint, la fugue d'un enfant ou son éloignement affectif et psychologique prolongé altèrent l'image initiale de la famille. On se retrouve soudain dans des rôles déplaisants qui fragilisent la confiance en soi et dans les autres, génère des angoisses et font basculer la destinée. Un sujet livré à l'instabilité chronique ne sait plus qui il est, où il en est, même s'il ne court aucun danger et n'est menacée d'aucune précarité.
Enfin, la précarité est une situation poignante pour une famille. Le chômage, l'insuffisance de revenus, un déclassement professionnel, la perte de certains avantages, peuvent installer un foyer dans une spirale de provisoire, d'occasions manquées, de promesses jamais tenues, de frustrations récurrentes. Jusqu'au point où certains membres voudront fuir le foyer, ou prendre des risques inconsidérés pour le rendre plus attrayant, en se mettant à jouer, à tricher, à voler, à mentir, par refus de l'indignité.
Les diverses formes d'insécurité se nourrissent l'une l'autre. La précarité peut engendrer l'instabilité ou le danger, l'instabilité chronique susciter la précarité, voire le danger. Un accident grave peut tuer l'amour ou plonger une famille dans la pauvreté.
1.2 Sécurité d'État et sécurité humaine
Ce vécu familial rend plus palpable la sécurité humaine pour de grands groupes de populations, comme une nation, voire un continent. Vu comme un État souverain, un pays peut sembler sûr au plan de ses institutions, de ses capacités à réagir à des menaces internes ou externes grâce à sa police et à ses forces armées. Vu comme un peuple qui aspire au bonheur, le même pays peut montrer de graves déficits en sécurité humaine : la population y vit dans la peur physique, beaucoup de gens doivent se cacher et mener une double vie pour ne pas révéler qui ils sont, ou encore la puissance publique fabrique trop de canons et peu de beurre.
Avec la fin de la guerre froide, le monde est devenu plus sûr géopolitiquement, la guerre reflue. Alors que la sécurité traditionnelle s'améliore, la sécurité humaine longtemps négligée nous préoccupe davantage. Sous l'effet de la mondialisation, les Etats perdent de leur superbe, leur souveraineté est moins majestueuse qu'avant. La société civile internationale, avec son réseau d'ONG, de media, d'échanges transnationaux, nous fait prendre conscience de la fragilité de nos certitudes et modes de vie. Il faut sans cesse réagir, s'adapter et le poids de la sécurité globale repose de plus en plus sur les épaules de chacun de nous, l'État s'avérant souvent impuissant. D'un autre côté, devenus plus sensibles aux souffrances des autres peuples, nous réagissons davantage aux épidémies, catastrophes, injustices, qui menacent la sécurité quotidienne de millions de gens. Autre facteur expliquant l'attention croissante à la sécurité dite humaine : la féminisation de la politique et de nos modes de pensée. La mondialisation dite courtoise nous fait voir un autre décor que des Etats sûrs d'eux et imbus de leur autorité. Les femmes affirment leur leadership et nous font percevoir comme insupportables certains risques humains que l'on croyait auparavant être dans la nature des choses.
Alors que les mentalités évoluaient, le Dr Mahbub al Aq, prix Nobel d'économie, fut le premier à faire entrer la notion d'insécurité humaine dans le discours officiel. Le rapport des Nations unies sur le développement humain en 1994 liait pour la première fois les notions de développement humain et de sécurité humaine. Là où la sécurité traditionnelle met l'accent sur l'État, la souveraineté nationale, le poids des forces armées et des forces de police, la sécurité humaine, appelée aussi sécurité des personnes identifie les principales menaces pesant sur la dignité de l'être humain. Elles sont généralement estimées au nombre de sept :
- La sécurité économique (accès à revenu ou des ressources minimum)
- La sécurité alimentaire (accès à la nourriture, et si possible une nourriture équilibrée)
- La sécurité médicale (accès aux soins et prévention des maladies)
- La sécurité environnementale (protection contre la pollution et les risques naturels)
- La sécurité personnelle (protection contre les violences domestiques, criminelles)
- La sécurité communautaire (protection d'un groupe humain menacé pour son particularisme)
- La sécurité politique qui recoupe en grande partie la protection des droits de l'homme.
2. L'insécurité humaine vécue et ressentie en Afrique
Du continent africain nous parviennent régulièrement des images qui évoquent toutes les formes d'insécurité : environnements insalubres, exodes de réfugiés fuyant la guerre, la répression, l'épidémie ou la catastrophe et venant accroître l'insécurité dans d'autres zones aux installations déjà insuffisantes et précaires. Le continent cumule les exemples où les problèmes de sécurité humaine s'ajoutent à la faiblesse de l'État.
Les trois formes d'insécurité se renforcent mutuellement comme le faisait ressortir un rapport récent sur la sécurité humaine : « en Afrique sub-saharienne, les conflits violents, avec le cortège d'insécurité et d'instabilité politique qui les accompagne, a freiné les progrès vers les Objectifs du Millénaire pour le développement dans nombre de pays. Reconstruire des sociétés après des conflits violents demande du temps et met en péril les ressources limitées de ces pays. »[1]
2.1 le déficit d'ownership
Même dans les pays africains où l'État est stable, bénéficie d'une certaine légitimité et évite de brutaliser sa population, quelques élites sont en sécurité, une minuscule classe moyenne se fait des niches de sécurité, et une grande partie de la population subit les sept grandes insécurité décrites plus haut. Au cœur du « mal africain », il y a le problème fondamental que la langue anglaise appelle « ownership », avec les connotation suivantes : maîtrise, responsabilité, prise en main, appropriation, souveraineté. Le déficit général d'ownership s'exprime dans trois domaines : le rapport à l'identité, qui explique le climat général d'incertitude et d'instabilité en Afrique. Le rapport à l'avoir, qui explique la précarité, et le rapport à l'être, qui explique le danger.
Signe de cette difficulté à s'assumer, l'Africain tente souvent de mettre son malheur sur le compte de l'autre : la sorcellerie, l'esclavage, la colonisation, la « Françafrique » etc. Pour M.Gervais Yamb, l'Afrique fonctionne encore trop dans l'hétéronomie sans arriver à se penser par elle-même. Il exhorte les africains à ne plus être « peuple objet » mais « peuple sujet », pensant et agissant d'eux-mêmes et par eux-mêmes.[2] Une pédagogie de l'ownership est la seule qui puisse aider l'Africain à maîtriser son destin et son environnement. Des acteurs régionaux réunis en atelier à Lomé en mars 2006 semblent avoir pris conscience de ce problème, déclarant notamment : « Il appartient aux Africains de se réapproprier le concept de sécurité humaine dans un monde de rivalités, de combats. »[3]
2.1 Des identités fragiles et incertaines
La première insécurité en Afrique touche à l'identité en général : qui suis-je ? Beaucoup d'Africains se sentent peu maîtres de leur vie, car trop de personnes, trop de facteurs décident pour eux. Même s'ils nourrissent des rêves et des aspirations, l'avenir semble souvent incertain. Sur le plan politique, la soif de démocratie est sincère, mais la réalité est celle que le politologue Max Liniger‐Goumaz appelle la « démocrature » dans son ouvrage de 1992 : « La démocrature, dictature camouflée, démocratie truquée ».
Sur le plan culturel et social, Le continent africain est extrêmement fragmenté et éparpillé en une mosaïque de langues et d'ethnies. Beaucoup d'Africains sont certes polyglottes et passent d'une langue à l'autre, mais la situation d'une immense majorité d'entre eux est de ne pas bien maîtriser une langue qui soit à la fois la leur et une langue de communication dans l'espace public. Il existe par ailleurs, dans de très nombreuses régions d'Afrique, un conflit plus ou moins profond entre le rôle que la tradition assigne à l'individu et l'image que lui renvoie la modernité ; entre les aspirations collectives (familiales, tribales) et les aspirations individuelles. L'individu africain est souvent obligé de jouer entre plusieurs entités contradictoires, déchiré entre le passé et le présent entre « eux » et « moi » entre « ici » (la grande ville) et là-bas (le village natal). Le problème de beaucoup d'Africains est donc « qui suis-je ? » « comment maîtriser un moi multiple et fragmenté, trouver ma place dans un certain milieu ».
Vient ensuite la question : « C'est à qui ? ». Dans une atmosphère de dénuement général, on ne sait jamais à qui appartiennent les choses et les biens, qui en est responsable. Même si une personne arrive à maîtriser sa vie, il n'est pas certain qu'elle saura maîtriser son environnement et faire ce qu'elle a voulu avec des moyens appropriés. L'Africain découvre souvent que son pays regorge de richesses et de ressources. Mais les vrais propriétaires sont ailleurs. Et quand l'État entreprend de nationaliser les richesses, il n'a bien souvent pas la capacité de les maîtriser à lui tout seul.
3. La position de
On peut donc distinguer deux grands aspects de la sécurité humaine :
- un aspect objectif qui libère l'homme de la peur et du besoin en agissant sur les insécurités venues du dehors. Celles-ci sont dues à la nature (risques, fléaux, accidents) ou à l'activité humaine (violence, irresponsabilité, négligence, malveillance).
- un aspect subjectif, qui libère l'être humain pour des valeurs et le responsabilise. Incarner ces valeurs rendra le monde bien plus sûr.
Prenons le cas de la sécurité routière. Il faut rendre les véhicules plus sûrs, d'améliorer les chaussées, et tendre vers des signalisations et des itinéraires plus simples, clairs et fluides. Le plus grand danger toutefois n'est pas celui qui s'abat sur le conducteur et les passagers, mais celui qu'ils créent. Bien conduire, c'est d'abord bien se conduire. Le plus sûr facteur de respect du code de la route est une éthique faite de sens des responsabilités, d'attention, de concentration, de courtoisie, de respect d'autrui. D'où cette remarque de bon sens lors des ateliers de Lomé : « Il faut qu'il y ait une prise de conscience individuelle sur la question de la sécurité humaine. Il y a lieu pour les individus d'adopter des attitudes responsables en la matière. »
4. Les cinq principes des ambassadeurs de paix et la sécurité humaine en Afrique
4.1 Unité
La principale source d'insécurité en Afrique tient à l'identité très fragile des Etats-nations, lesquels sont toujours à la recherche de leur unité. Dans la plupart des pays africains, il y a trop d'ethnos (de peuplades) et pas assez de demos (le peuple souverain, d'où vient le mot démocratie). Le rapport à
4.2 Spiritualité
Peu d'études sur la sécurité humaine évoquent le facteur spirituel. C'est un tort. Les remarques de conclusion des ateliers de Lomé le passent totalement sous silence ce facteur, alors que le sujet est revenu souvent dans les travaux, comme le révèle cette phrase : « Les aspects culturels de la sécurité humaine et les mécanismes de protection endogènes faisant recours au domaine du « magique » ou du religieux, ont été évoqués. La gestion des mythes en Afrique fait problème: l'Afrique comme l'a fait l'Europe au XVIIIème siècle doit sortir de l'obscurantisme. La mentalité mythique ou magique domine encore chez nos peuples. »
Les Africains sont très spirituels, mais leur spiritualité doit les aider à bâtir la cité de Dieu d'abord sur la terre.
A quoi ressemblerait un monde vraiment sûr ? Plus encore qu'à la politique ou à l'éthique, c'est à la spiritualité de nous le dire. La plupart des civilisations tendent vers la cité idéale de l'être humain comme une harmonie des trois plans : divin (Theos), humain (anthropos) et naturel (cosmos). Pour cela, l'être humain doit vivre en bonne intelligence avec la loi céleste, la loi humaine et la loi naturelle.
Des Hommes Libres dans un monde sûr
Le paradigme monothéiste
Les trois religions du Livre (Judaïsme, christianisme, Islam) évoquent un partenariat entre Dieu et l'homme dans l'histoire. Avec quatre conséquences :
Ce récit des origines est certes propre aux religions abrahamiques : judaïsme, christianisme, islam. On constate toutefois que toutes les grandes spiritualités lient l'insécurité humaine à quatre péchés majeurs :
- La séparation d'avec le divin et d'avec la loi céleste, qui entraîne l'homme vers l'illusion, l'erreur, le mensonge, la rébellion, le parjure.
- La séparation entre l'homme et la femme, perceptible dans les désordres sexuels, la misère affective, l'infidélité, l'adultère, les violences conjugales, le mépris de l'autre sexe.
- La séparation des hommes entre eux, qui les amène à se jalouser, se haïr, recourir à violence pour régler les problèmes, tuer et se faire la guerre. Ce que l'atelier de Lomé appelait la « haine de proximité ».
- La séparation entre l'homme et son environnement, qui entraîne le mauvais usage des biens matériels, les spoliations, le vol, la corruption, la dégradation de l'environnement.
Nous retrouvons ici tous les grands thèmes de la sécurité humaine en Afrique et on voit sans peine comment les grands courants spirituels devraient devenir des partenaires pour atteindre les OMD.
4.3 Famille
La famille comme école de l'amour et de la paix, c'est le troisième grand principe que recommande
Ateliers de Lomé sur la sécurité humaine en Afrique de l'Ouest (28-30 mars 2006) Quelques extraits | Crise de la famille et insécurité humaine L'Afrique des villes développe l'exclusion, forme d'insécurité sociale. Aujourd'hui, des pans entiers des sociétés se trouvent en situation d'insécurité : les enfants, les femmes et les personnes âgées. Elles ne sont pas assez protégées par les lois ou par le lien social. La stabilité des pays commence par celle de la famille. Il a été rappelé le rôle essentiel des pères dans l'éducation à la paix de leurs enfants. L'Afrique de l'Ouest n'est pas épargnée par l'éclatement des familles, les divorces entraînant souvent l'abandon des femmes et des enfants. Nombre de ces enfants sont aujourd'hui des recrues faciles pour les armées, des candidats à l'immigration. -La principale dimension de l'insécurité humaine se traduit par l'exclusion sociale, très forte en milieu urbain. La principale source de pauvreté vient du fait d'être seul. D'autres formes de solidarité comme le famille ou le cercle amical sont importants. Si ces liens disparaissent et que l'Etat ne vient pas combler ce vide, on assiste à un processus de dégradation de la sécurité humaine. Ainsi, les femmes seules (divorcée, veuve, célibataire) de même que les jeunes filles sont vulnérables et font l'objet d'insécurité. (Lomé mars 2008). |
4.4 Altruisme et fraternité
La famille comme école de l'amour et du civisme constitue précisément l'élément charnière entre l'affirmation de soi qui émerge partout en Afrique chez les nouvelles générations et un sentiment national ou patriotique encore fragile. Les ateliers de Lomé contenaient une remarque juste à propos de la mobilisation de la jeunesse : « Il apparaît que dans des situations de crise, les jeunes sont mobilisées soit pour prendre part aux combats soit pour résister. Or, en temps de paix, les jeunes n'intéressent personne. Une réflexion doit être menée sur la mobilisation constructive des jeunes en temps de paix. »