Boganda, un Moïse africain : qui sera son Josué ?

Peu avant sa mort, Barthélémy Boganda (1910-1959) entrevit la terre promise, non pas sous la forme la République Centrafricaine actuelle sous-peuplée, mais comme « les États-Unis d'Afrique Latine ». Une grande fédération aurait regroupé les anciennes colonies françaises, belges et portugaises de la région. 50 ans plus tard, les mânes de Boganda hantent encore les Centrafricains. Un Josué surgira-t-il de leurs rangs pour poursuivre l'œuvre de leur Moïse ? 

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Barthélémy Boganda avec le général De Gaulle, dans les années 1950

Barthélémy Boganda fut le père d'un certain rêve africain et même panafricain, puisqu'il défendit jusqu'à sa mort le projet visionnaire des Etats-Unis d'Afrique Latine. Il fut aussi, par la force des choses, le père d'une République Centrafricaine qu'il n'appelait pas de ses vœux, en tout cas pas sous cette forme, mais dont les Centrafricains sont aujourd'hui les enfants. Des enfants fiers, mais aussi déboussolés, et orphelins. Figure trop grande pour la seule géographie centrafricaine, trop en avance sur son temps, que ferait Boganda aujourd'hui ? Le rêve brisé hante l'esprit des Centrafricains et les soude malgré leurs nombreux déchirements.

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Langues officielles Sango, Français
Capitale Bangui
4 22 N 18 35 E
Plus grande ville Bangui
Forme de l'État
 - Président de la République
- Premier ministre
République
François Bozizé Yangouvonda
Faustin-Archange Touadéra
Superficie
 - Totale
 - Eau (%)
Classé 44e
622 984 km²
1
Population
 - Totale (2003)
 - Densité
Classé 127e
3 895 139 hab.
6,01 hab./km²
Indépendance
 - Date
de la France
13 août 1960
Gentilé Centrafricain Centrafricaine
Monnaie Franc CFA (XAF)
Fuseau horaire UTC +1
Hymne national La Renaissance
Domaine internet .cf
Indicatif
téléphonique
+236


Organisé par le collectif du cinquantenaire de la République Centrafricaine, l'hommage au père fondateur était le point d'orgue d'une série d'événements préparés depuis plusieurs mois pour célébrer la proclamation de la République du Centrafrique en 1958. Une commémoration difficile à organiser, car comment célébrer l'héritage de Boganda sans aborder la politique, et comment évoquer les réalités politiques du Centrafrique actuel sans flétrir quelque chose de précieux et de sacré ? Plus de 100 personnes avaient répondu à l'appel du collectif et madame Hélène Boganda en personne, belle-fille de l'ancien héros centrafricain, accueillait les hôtes à l'entrée de l'Espace André Maigné du Kremlin Bicêtre, le jeudi 4 décembre.

Les organisateurs et leurs hôtes ont privilégié la dignité et la mesure, alors que la foule des invités manifestait parfois une impatience compréhensible, craignant que le registre du respect et de la retenue ne rende le débat un peu aseptisé.

La soirée débuta par une présentation de différentes associations qui œuvrent au développement en Centrafrique. Puis la partie commémorative s'ouvrit et toute l'assistance se leva pour écouter un enregistrement de l'hymne centrafricain chanté par le président Boganda lui-même. Après ce moment de communion mystique, un aréopage des aînés évoqua la personnalité du président fondateur en le replaçant dans son contexte : rappeler l'itinéraire de Barthélémy Boganda et les grandes lignes de son œuvre politique originale. On se demanda donc s'il existe une philosophie politique bogandienne, et comment la situer parmi les courants politiques africains. Venait ensuite la question la plus sensible : qu'est-il advenu de l'héritage moral et politique du fondateur ? La soirée était donc, pour tous les participants, une occasion de réfléchir à un certain nombre de problématiques : colonisation et décolonisation, développement, multipartisme, panafricanisme.

Indépendance d'un pays, libération d'un peuple

Le premier orateur de la soirée fut M. Fidèle Ogbami, dont le texte de circonstance, Philosophie politique du Président Boganda, circulait dans l'assistance. M. Ogbami préside le Mouvement de l'évolution sociale en Afrique noire (Mesan), le parti créé par Barthélémy Boganda en 1950. Il a salué la semaine d'amitié organisée par le Collectif et formulé le  vœu  que tout devienne possible en suivant le père. Après avoir retracé les grandes dates de la vie de Barthélémy Boganda, né en 1910 et premier centrafricain à être ordonné prêtre (en 1938), M. Ogbami est revenu sur l'action politique qui le fit entrer dans l'histoire.

Il a présenté la double dynamique de son action politique : la lutte contre la colonisation et l'injustice pour  libérer politiquement les Africains puis l'action de libération sociale de la personne africaine devenue maîtresse de sa destinée. Et de rappeler les fameux 5 verbes qui guidaient le programme social du président : « Nourrir, soigner, instruire, loger, vêtir. »

M. Ogbami a ausssi souligné les paradoxes de l'action menée par Boganda : « Boganda s'est battu contre la France coloniale, mais il s'est aussi inspiré de la France idéale, la France universelle pour concevoir son idée de la République Centrafricaine. Boganda fut un patriote centrafricain, mais il crut passionnément en un fédéralisme panafricain, au point de ne pas pouvoir être suffisamment parmi les siens. »

Car cet homme si épris de liberté et d'indépendance ne la voyait aucunement sous la forme de petits Etats-nations repliés sur leurs prés carrés. L'homme qui rêvait de fonder avec ses voisins « les États-Unis de l'Afrique Latin » prophétisa un jour :  « La terre oubanguienne [actuelle République centrafri­caine] sera le bastion de l'unité africaine, seule garantie de nos libertés et de notre indépendance ; car des menaces très graves pèsent sur nos têtes et l'indépendance totale ou partielle serait une dangereuse utopie, une porte ouverte à notre perte définitive et à notre disparition de la face du monde si elle n'est pas organisée sur la base d'une unité africaine inébranlable… »

C'est en ayant ces paradoxes à l'esprit que Fidèle Ogbami a conclu un exposé emprunt de gravité et d'un grand sens politique.

Sauvetage de l'Afrique ou salut de l'homme ?

Après ce portrait moral, il fallait éclairer la pensée de l'homme d'action. Le choix d'Eloïs Anguimate pour évoquer la philosophie politique de Boganda s'imposait presque : le Dr Anguimate est en effet à la fois philosophe et ancien ministre de la République Centrafricaine. Parlant sans note et s'en tenant strictement à son temps de parole, Anguimate a surtout voulu poser des questions simples.

« Boganda avait-il une philosophie ? Ce n'était pas un philosophe professionnel, mais son action politique traduisait une pensée cohérente et articulée. D'où venait cette pensée ? Y a-t-il un bogandisme ? Honnêtement, non. Boganda fut formé par un homme qu'il vénérait, je veux parler de Mgr Jean-René Calloch, son père spirituel. Et cet évêque lui a fait aimer et comprendre ce qu'on appelle la doctrine sociale de l'Eglise catholique. On ne comprend rien à Boganda sans cet arrière-plan. Boganda se distingue de beaucoup d'autres pères de l'indépendance africaine par cette fidélité à l'enseignement de l'Eglise. Vous comprenez ce que je veux dire ? Beaucoup, à son époque, voulaient sauver l'Afrique. C'est une belle affaire, mais Boganda n'entendait pas les choses ainsi. Pour lui, il faut sauver l'homme, c'est-à-dire lui apporter le salut, au sens chrétien. Le plan de sauvetage politique est subordonné au dessein plus fondamental du salut de l'être humain dans sa totalité. Boganda était un homme de Dieu en politique. Ceux qui le firent prêtre lui donnèrent comme paroisse un peuple à libérer.

Fidèle donc à l'Eglise, mais jusqu'à quel point ? Telle est la question. Prenez la fameuse devise de Boganda : Zo Kwe Zo (un homme est un homme, tout homme en vaut un autre) : il s'agit d'aider l'homme à atteindre sa plénitude. Boganda est donc allé vers l'homme, vers les hommes, avec la parole de Dieu dans son cœur.  Mais pour sauver l'homme, il n'a pas seulement visé l'âme. Il visait l'âme et le corps, dans leur unité. Alors Boganda, donc ? Un idéaliste ? Non. Un matérialiste alors ? Non plus. Boganda fut un homme de réalisme. »

Interrogé plus tard par un participant sur la dimension bantoue du bogandisme, Anguimate a fait cette réponse. « Je l'ai dit, il faut replacer Boganda dans son époque et son milieu. Boganda était un bantou, c'est exact, mais je ne crois pas que nous avancions beaucoup en voyant chez lui une sorte d'âme bantoue. Je répète que Boganda s'est efforcé de comprendre à son époque et dans un certain contexte la doctrine de l'Eglise, et de l'incarner. Dans cette incarnation, l'aspect bantou était plutôt phénoménal qu'essentiel, à mon humble avis. »

Reconnaîtrait-il son héritage ?

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Le président Boganda et le mémorial qui lui est consacré à Bangui

Que reste-t-il de cette âme de Boganda, presque 50 ans après sa disparition prématurée ? M. Clotaire Saulet Surungba a eu la lourde tâche d'aborder l'inventaire. Il a d'abord rappelé que bien des éléments laissés par Boganda sont toujours en place, à commencer par le pays lui-même, l'actuelle République Centrafricaine, et son hymne ainsi que son drapeau. Mais il faut rappeler que l'indépendance isolée était déjà une trahison des vœux profonds de Boganda. Il reste aussi le parti politique qu'il avait fondé, le MESAN. Evoquant la devise de la RCA – Unité, Dignité, Travail –  Surungba a exhorté fraternellement ses compatriotes à se ressaisir.

« Nous partions d'un noble idéal d'unité avec les autres, et nous avons perdu l'unité entre nous. La RCA, terre des bantous est devenue une terre de braqueurs, tandis que la population était tentée par le repli identitaire. Quand j'évoque la dignité, mon cœur saigne. Si Boganda était vraiment « le plus prestigieux et le plus capable des hommes politiques équatoriens » (Georges Chaffard), il y a de quoi être honteux. Notre pays fait appel à toutes sortes de médiations étrangères et le classement du PNUD nous met en toute fin de classement. A un dollar par jour, je vous demande où est la dignité. Quant au travail, il est déprécié de nos jours, car nos compatriotes n'arrivent pas à produire ni à écouler leurs produits. Il leur faut emprunter tous les raccourcis pour survivre. »

Après ces rudes propos, un homme d'église, le père Pierre Saulnier, s'est efforcé de redonner du baume au cœur à l'assistance. Cet ecclésiastique français, passionné d'ethnolinguistique, a évoqué la richesse de la culture sango et l'a fait en évoquant la culture populaire, sans oublier la riche chanson centrafricaine contemporaine et les thèmes déclinés par ses artistes. Et l'auteur de « Le Centrafrique entre mythe et réalité » de conclure : « Croyez moi, les Centrafricains ont une culture riche et originale et ils savent très bien en parler et la faire aimer. »

Alors, l'avenir justement ? Après les rudes propos d'un compatriote sur le passé récent et le message de réconfort d'un homme d'Eglise bienveillant et compatissant, quelle vision pour l'avenir ? Il revenait à Jean-Pierre Mara d'évoquer l'avenir, 50 ans après Boganda.

« Je crois que, pour nous en sortir, nous devons cesser de chercher des coupables à nos maux. L'esclavage, la colonisation, ne les nions pas, mais ne revenons pas sans cesse là-dessus. Ne faisons pas non plus sans cesse le procès de nos aînés. Car nous sommes déjà les aînés des générations futures, alors que leur laisserons-nous ? Voyez cet homme qui vient de se faire élire aux États-Unis. Il a été élu non pas à cause ou malgré la couleur de sa peau, mais parce qu'il a été bon et que les textes fondamentaux des États-Unis ont été respectés. Faisons pareil : soyons bons et respectons nos textes. A propos de textes, nos formations ne sont pas adaptées. Revoyons l'éducation au Centrafrique. Elle doit être en prise sur la réalité du pays. Alors que nous fêtons nos 50 ans, notre jubilé, il faut conjuguer correctement les 5 verbes au présent et au futur : « Nourrir, soigner, instruire, loger, vêtir. » Nous ferons connaître le président Boganda au monde et serons ses fiers héritiers en actualisant son message.

Les Etats-Unis d'Afrique Latine

Une conception originale du panafricanisme


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Les Etats-Unis d'Afrique Latine selon Boganda

Le Projet bogandien d'Etats-Unis d'Afrique Latine se rattache au courant panafricain, c'est-à-dire d'une Afrique unie et souveraine, affranchie des ingérences externes, maîtresse de son destin. L'idée panafricaine de Boganda se distingue toutefois d'autres mouvements panafricains par l'itinéraire particulier de son concepteur. Il eut d'ailleurs l'occasion de s'exprimer là-dessus :

« moi-même je suis né congolais et je suis devenu oubanguien. Une partie de ma tribu se trouve au Congo belge, une autre dans l'ancien territoire de l'Oubangui et une autre au Tchad. Mais c'est la langue française et notre culture latine commune qui sont pour nous l'un des liens essentiels. C'est pourquoi je crois fermement à une Afrique latine comme on parle d'une Amérique latine ».

Outre sa relative homogénéité culturelle (les langues romanes) et probablement spirituelle (il s'agissait d'une Afrique massivement sous influence catholique), la région dont rêvait Boganda répondait à des impératifs proprement politiques et économiques. Le colonisateur avait déjà implanté dans chaque pays des cultures d'exportation spécifiques et un cadre fédéral aurait permis de rationaliser la production agricole et industrielle ainsi que la circulation des biens. Il importe aussi de souligner que le panafricanisme de Boganda s'appuyait sur un humanisme chrétien, là où le panafricanisme d'un Nkrumah, par exemple, se réclamait explicitement du socialisme, voire du marxisme.

Boganda conçut la constitution de cette Afrique latine en trois étapes :

-  tout d'abord l'union des quatre territoires constitutifs de l'ex-AEF sous l'appellation de République centrafricaine ;

-  ensuite, l'unification des deux Congo, le Congo français (soit l'ex-AEF) e le Congo belge (actuelle RDC) ;

-  enfin la création des Etats-Unis d'Afrique latine comprenant, outre les deux Congo, le Cameroun, le Rwanda, le Burundi et l'Angola.

Le projet a plusieurs fois été salué comme visionnaire et très en avance sur son temps. Il faut néanmoins tenir compte de l'avertissement lancé par l'Américain Richard Wright, qui trouvait que cette Afrique là faisait la part un peu trop belle au cathlocisme romain

 



09/12/2008
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