Entre rêves et désillusions : Migrations de femmes africaines

Entre rêves et désillusions

Migrations de femmes africaines

 

Rencontre /débat du 4 décembre 2008

 Au siège de Migrations-santé

www.migrations-sante.org

(48/50, rue Boissonade – 75014 Paris

Séminaire animé par Dr El Moubaraki Mohamed, directeur de Migrations sante

Intervenant : Dr Thiédel CAMARA, Socio-économiste / Athropologue

Notes prises par Monsieur Laurent LADOUCE, Président de la Commission « le rêve africain »

 

Le but de ces notes est de refléter, avant tout, l'atmosphère chaleureuse et dynamique de cette rencontre débat. Elles n'ont nullement la prétention de reproduire l'ensemble des interventions et des échanges de la vingtaine des personnes qui y ont participé.  

 

Après la présentation du séminaire par l'animateur de la séance et un tour de table pour que chaque participant(e) se présente, la parole a été donnée au Dr Thiédel CAMARA, l'intervenant du jour. Il s'est d'abord présenté et a expliqué que son prénom est typiquement peul. De parents guinéens, lui-même est né au Sénégal ; âgé aujourd'hui de 68 ans, il paraît beaucoup plus jeune et dégage une énergie communicative.


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Le Dr Thiédel Camara en session de formation au lycée Célestin Freinet (Indre et Loir)

 

Cet anthropologue qui a enseigné à l'université de Saint-Louis du Sénégal, évoque avec nostalgie les travaux du grand sociologue Georges Balandier. « Mais nous étions surtout tous héritiers des travaux du grand Cheikh Anta-Diop, lequel a complètement renouvelé l'approche de l'Afrique. Il fallait se battre contre l'establishment. Moi-même, j'ai bifurqué vers l'anthropologie médicale. Je voulais savoir comment étaient perçues les maladies en Afrique. »


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 Georges Balandier                 Cheikh Anta Diop

 

Après cette introduction, Thiédel Camara se lève pour présenter des transparents expliquant les différentes variables de la migration. « Vous savez, Senghor disait que les hommes sont au début et à la fin du développement ; disons qu'en réalité, ce sont plutôt les femmes qui sont au début et à la fin. Je me suis souvent trouvé face à des étudiantes qui étaient découragées au moment de la licence (continuer les études ou bien se marier et se retrouver dans un rôle plus traditionnel). Je faisais de mon mieux pour les encourager à étudier. »

 

Ses transparents font ressortir qu'une foule de facteurs peuvent motiver une personne à quitter sa communauté et à choisir, parfois subir l'émigration. « Derrière chaque migrant, sur fond de facteurs d'ailleurs variables, il y a une histoire singulière. L'anthropologue ne peut faire progresser la connaissance qu'en allant sur le terrain, interroger les gens un par un, dans leur contexte. »

 

Aujourd'hui, Thiédel a choisi de nous éclairer sur le rôle des conditions climatiques et les données du milieu naturel. « Vous savez ce que veut dire DPAA ? Eh bien ce sigle signifie la Diminution de la Population Active Agricole, et c'est souvent un drame humain, se traduisant par l'exode rural et les migrations. Mais il n'y a pas que l'agriculture qui soit menacée. Lisez le dossier du Nouvel Observateur du 27 novembre 2008 (Poisson inéquitable, le cauchemar de Dakar) et vous comprendrez que le pêcheur dakarois ne peut plus vivre de son métier. »

 

Thiédel nous invite ensuite à réfléchir à des notions souvent mal connues, comme le co-développement et l'éco-développement. Il cite les travaux de François Perroux et de René Dumont, et la notion de maldéveloppement. « Quand on introduit certaines machines, des femmes perdent leur emploi et pratiquent le navetannat, un mot pudique pour parler de leurs navettes, on dirait plutôt de leur errance. L'exode commence et certaines tombent dans la déviance. Qu'est-ce qui amène les jeunes filles et les jeunes garçons à s'adonner à des actes de déviance ? La pauvreté est une cause, mais il y a aussi le problème de la formation. Former quelqu'un,  c'est l'aider à prendre conscience et lui offrir un éventail de choix plus grand. Une personne pauvre mais conscientisée arrivera à ne pas choisir la prostitution, ne serai-ce qu'en comprenant mieux les risques pour sa santé. La prise de conscience concerne aussi le milieu. Dans certaines familles, la femme qui étudie fait peur. On doit donc faire évoluer les mentalités, montrer que la femme mieux éduquée sera un plus pour son entourage. Un autre facteur à prendre en compte, ce sont les problèmes intergénérationnels. »

 

Thiédel, homme de recherche scientifique et de raison, ajoute : « On ne peut pas mesurer l'être humain, qui est très vaste. On ne peut pas comprendre l'être humain sans le replacer dans son contexte, qui est souvent si complexe. Des attitudes globalement similaires (émigrer) renvoient à des cas très divers. Et nous devons éclairer les travailleurs sociaux et les pouvoirs publics sur ces facteurs. »

 

Après ces remarques liminaires, la discussion informelle a pris place, et Mohamed El Moubaraki a d'abord rappelé quelques données. Jusqu'en 1974, l'immigration concernait surtout les hommes, et en raison du regroupement familial, de plus en plus de femmes sont concernées. Peu à peu on voit la femme émigrée change de statut. A la première génération, sa natalité peut rester très forte : cinq, six enfants, comme au pays. A la deuxième génération, c'est une autre condition féminine. Dans la première génération, on a souvent des milieux familiaux marqués par le patriarcat. Ensuite, les choses évoluent.

 

Une question s'est alors posée : y a-t-il des chiffres précis sur l'immigration des femmes ? Solange Chétou qui s'apprête à partir faire une étude comparative sur la condition féminine dans deux provinces différentes du Bénin, son pays d'origine, s'interroge sur le bien-fondé de la notion de genre. « J'ai parfois l'impression qu'on dit beaucoup de choses sur les femmes, on essaie de les aider et on crée par exemple cette politique dite du genre. Qu'est-ce que ça veut dire ? Est-ce que cela aide vraiment les femmes à améliorer leur condition ? »

 

Hamida Namane, consultante en interculturel, a répondu avec pédagogie. « Distinguer le sexe masculin et féminin, qui est une donnée plutôt biologique ou 'de nature' et le genre, qui est une construction sociale et culturelle, a son utilité. Il est bon et utile de cibler dans quels domaines les droits des femmes peuvent et doivent progresser pour qu'elles soient traitées normalement. »

 

Une intervenante a déploré que certaines femmes, quand elles arrivent à franchir les barrières, et à s'élever vers davantage d'autonomie, ne se soucient plus de continuer la lutte. Elles oublient parfois leurs sœurs moins favorisées par le sort.

 

Madame Namane, pour sa part, a estimé qu'il faut faire une distinction entre les femmes du 
sud et les femmes immigrées, les unes sont dans les pays du sud – peut-être potentielles
émigrées -  rencontrant des  problématiques locales et les
autres sont des immigrées,
installées en occident et rencontrant des problèmes d¹intégration. Elle
s'est demandée si les
femmes maghrébines immigrées en France peuvent avoir les mêmes droits que les femmes
françaises. Plusieurs femmes qui étaient déjà écartées par les législations de leurs pays, restent
aussi à l'écart en Occident, malgré les lois. Il ne s'agit pas ici d'une discrimination basée sur le
genre, mais plus d'un problème d'intégration culturelle ou ethnique. C'est leur condition de
personnes immigrées qui les bloque, plus peut-être que leur condition féminine. La société
française veut-elle vraiment les associer à la vie de la cité ?

 

La question du retour était loin de pouvoir être tranchée : certaines personnes autour de la table ont estimé qu'à leur avis, les femmes maghrébines ne repartent plus, elles restent ici. Leur installation en France est durable, parce que leurs enfants et petits-enfants sont français. Mais Ben Moumène Kaoutar, qui a fait un mémoire de thèse au Maroc, dit que les choses ne sont pas si simples : « De façon générale, les femmes veulent être les gardiennes des traditions. Et beaucoup de femmes marocaines pensent que l'émigration n'est pas la solution, car elles veulent garder les traditions, mais le problème est le pouvoir masculin. Il y a eu des réformes au Maroc, et le statut de la femme s'améliore, permettant d'envisager un meilleur équilibre entre modernité et tradition. »

 

On s'est alors interrogés sur les différences de comportements entre les femmes tunisiennes, marocaines et algériennes. Partout, il y a un ardent désir de toujours être femmes et mères tout en exerçant pleinement leurs droits. Les trois pays laissent aux femmes des stratégies très différentes pour concilier modernité et tradition.

 

Hamida Namane a alors invité à réfléchir à ces stratégies féminines. « Stratégie, on peut aussi parler de ce que l'on appelle aussi parfois les ruses de la femme, les ruses d'une personne en position d'être dominée pour se ménager des espaces de liberté sans avoir à affronter le dominant : dans bien des cas, le port du foulard, qui nous paraît être aliénant pour la femme, lui permet au contraire d'avoir plus de libertés, et dénote une stratégie de contournement. Le dominé à des stratégies par rapport au dominant. Dans la société traditionnelle, chacun avait son domaine : la femme était dans le dedans, elle était liée à la domesticité (et possédait aussi un pouvoir) l'homme se situait au dehors et avait un pouvoir dans l'espace public. Et tout cela a été remis en question, pour le plus grand bien de la femme. »


[voilee.jpg]  Image non réduite

Voilées et/ou ouvertes sur le monde ?

 

Thiédel intervient alors pour évoquer un paradoxe : selon lui, certaines femmes elles-mêmes freinent le dynamisme. Il y a des avocates par exemple qui finissent par accepter d'être la 3e ou la 4e épouse dans un mariage. Plusieurs femmes ont alors donné leur version de ce phénomène. « Cette femme a choisi d'être avocate, ou d'exercer une profession libérale, et a fait de longues études pour y arriver. Les femmes plus jeunes qu'elles sont toutes déjà mariées. Elle, qui a réussi, professionnellement, se retrouve un peu seule, elle n'a pas renoncé pour autant à être femme et mère. Si elle doit pour cela passer par le rang de troisième ou quatrième épouse mais qu'elle accomplit son but, c'est sa stratégie. »

 

Répondant à une question, Madame Malenfant a souligné les questions relatives à la gynécologie pour les femmes immigrées. Le problème d'examens gynécologiques effectués par des hommes ne soulève pas des problèmes uniquement chez les Musulmans mais dans beaucoup d'autres communautés. Le problème ne vient pas toujours d'un blocage des hommes mais peut venir des femmes aussi qui estiment que ces problèmes doivent rester strictement féminins et entourés de certains rituels, surtout à propos de la naissance. Une autre intervenante a souligné que le problème ne concerne pas uniquement le corps ; des femmes qui doivent s'adresser aux services sociaux pour diverses démarches et qui demandent parfois à être reçues uniquement par une femme.

 

A la fin de la réunion, nous avons accueilli M. Chamsamone Voravong, président du FORIM, qui a été créé en 2002.

« Il s'agissait de traiter l'immigration différemment. Non plus comme un problème mais comme une ressource. Il fallait s'adresser aux associations de migrants. Le FORIM a donc été créé avec la volonté des pouvoirs publics et des associations de migrants (Au départ les anciennes colonies françaises, puis on a élargi).

 

Je vais dans beaucoup de réunions qui parlent de choses abstraites. Ici, votre réunion aborde des sujets concrets. Je viens moi-même du Laos. Dans ma jeunesse, il fallait être poète pour conquérir le cœur des jeunes filles. Je n'étais pas doué pour la poésie. Mais c'était une époque où il y avait peut-être une certaine courtoisie entre les hommes et les femmes. Laissez moi vous dire aussi que la plupart des migrants passent d'un environnement où la nature est toute proche à un environnement où tout est largement créé par l'homme. C'est une grosse différence.

 

Dans notre association, nous essayons de valoriser les bonnes pratiques. Comment faire pour que le migrant cesse d'être un intrus.  Les migrants peuvent-ils apporter quelque chose ? Il ne manque pas d'agronomes, d'experts ; comment cela se fait-il pourtant que la faim soit si forte dans le monde ? Nous avons appris en Occident, mais ce que nous avons appris ne profitera pas forcément à nos pays. Nos pays ont connu le maldéveloppement. Regardez l'exemple de Yunus qui a perçu ces problèmes et a pensé au micro-développement. Nous devons apprendre des migrants comment faire le développement d'une autre façon. J'ajouterai, car je suis aussi un ambassadeur de paix, que le vrai développement doit se faire avec des valeurs morales. Aucune société ne peut se développer sans valeurs morales.

 

M. El Moubaraki a rebondi sur ce propos pour conclure. « Que la migration serve la paix ! De toutes façons, nous sommes tous des migrants sur la terre. On m'a dit que ce problème avait commencé avec Adam et Eve, qui n'ont pas pu rester au Jardin. Tous nos maîtres spirituels ont été des migrants. Quand je pense aux kilomètres que Moïse, Bouddha, Jésus et Mohamed ont parcouru pour propager de bonnes nouvelles ! »

 

C'était une belle conclusion alors que les fêtes de fin d'année approchent.

 

 



08/12/2008
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